samedi 18 mars 2023

Le rôle des émotions sur la Voie

En lien avec notre article sur le Religare...

Cosmogonie 

En principe, il n’y a que l’Unité, c’est-à-dire ni Lumière ni ténèbres. Pour une raison qu’on ignore, une partie de cette Unité se met en mouvement. Dès lors, la partie agitée prend le nom de Ténèbres (composées de Lumière agitée) et le reste perd le nom d’Unité pour prendre celui de Lumière (composée de Lumière immobile). 

« Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres… » (Genèse)

A partir de ce moment, car il y a un moment, le temps venant de naître en même temps que cette séparation, la Lumière exerce en permanence une pression sur les ténèbres (la force Sgoula des kabbalistes). Alors, s’enroulant sur elles-mêmes, elles se concentrent, créant une densité plus grande que l’environnement. La matière telle que nous la connaissons est née.

L’opposition entre les ténèbres (matière) et la Lumière (énergie) n’est donc qu’apparente.

Notons dès maintenant que la Lumière n’est pas la lumière physique et que le terme d’énergie ne peut être approprié non plus. De plus, il est intéressant de noter que dans de nombreuses cosmogonies, la Création commence toujours par une mise en mouvement. 

Voici ce qu’en dit la Kabbale par exemple, à travers son concept d'Eclair fulgurant. 


Le but

En tant qu’être humain, notre tâche est de transformer la matière en Lumière, ce qui est l’inverse du mouvement de la Création qui, elle, densifie la Lumière et la transforme en matière. En alchimie métallique, l’alchimiste va réaliser ce processus à l’aide d’éléments extérieurs, afin de méditer sur l’analogie avec son propre corps. Ce sont les voies sèche et humide. Mais il existe une 3ème voie : la voie royale, dans laquelle le Corps humain est lui-même le creuset de la Pierre.
 
Voyons si cette idée peut se retrouver dans l’Arbre, qui représente l’Adam Kadmon, l’Homme cosmique. Selon Annick de Souzenelle, l’Arbre est une représentation du corps humain.


De nouveau il y a concordance, le troisième Monde, Yetsirah, associé à l’âme, est le Monde de l’artisan et de l’ouvrage. Au niveau du corps physique, cela correspond au tronc abdomen/thorax. Rappelons également qu’Annick de Souzenelle y associe le terme de « forge ». Quant à la Sephirah Tiphereth…


Si l’on trace tous les Sentiers qui arrivent et partent de Tiphereth, on comprend mieux pourquoi les kabbalistes l’associent au terme « creuset ».
 
Tiphereth signifie « Beauté », plénitude. Au niveau du corps physique, c’est le cœur, le cerveau médian auquel est associé l’instant présent. Au niveau astrologique, c’est le soleil. On peut aussi y associer l’Être. Enfin, c’est dans le cœur spirituel qu’Isha Schwaller de Lubicz situe le SOI. On y associe également l’idée de Sacrifice (qui rend sacré), de la personne à l’Impersonnel, d’où l’idée de Service qui peut en découler.

Selon Patrick Burensteinas, l’alchimie est une dé-marche, elle vise l’arrêt quelque part… La quête de l’alchimie n’est pas celle du mouvement mais celle de l’immobilité, qui fait perdre la forme. Pourquoi perdre la forme ? Parce que c’est la forme qui est l’origine de la séparation, de la dualité : « …Il y eut un soir, il y eut un matin » (Genèse). Tant qu’il restera la forme, il y aura une différence.

Le but de la Voie est la réintégration dans l’Unité, à laquelle les kabbalistes associent les mots « Aïn Soph Aor ». P. B. les traduit par « la Lumière est la non-Forme » (Aïn : marque de la négation ; Soph : forme ; Aor ou Aour : Lumière). En ce sens, Lumière, Amour, Unité, sont des synonymes.
 
Rappelons que la forme est la conséquence de la mise en mouvement de la Lumière, à une agitation donc. P. B. associe l’agitation à l’âme et selon lui il s’agit donc de perdre cette agitation. Cependant il fait remarquer que si tout le monde est d’accord pour redevenir Lumière, la plupart souhaite le réaliser en restant eux-mêmes, en continuant à pouvoir penser en tant que « moi ». Mais il est impossible de retrouver l’Unité en gardant tel quel ce moi…

Il associe également le Souffre à l’âme (et le Sel au corps, le Mercure à l’esprit). Le souffre est ce qui nous agite, nos émotions. L’âme est le réservoir d’agitation que nous devons vider pour nous permettre de perce-voir l’Être.


Si la Voie devient ainsi une quête de l’immobilité, elle est également la quête de l’alignement.
En effet, remarquons que la seule différence entre du charbon et un diamant, est l’alignement des liaisons chimiques entre leurs atomes, de Carbone dans les deux cas. Pour le charbon, elles sont chaotiques, pour le diamant, elles sont droites. Quant à ce dernier, il laisse passer la lumière…


D’où la voie de la droiture, de la rectitude… Peut-être qu’au lieu de « s’asseoir à la droite de Dieu », s’agirait-il de comprendre que la Lumière n’entre dans un corps que s’il est droit…


Ce symbolisme se retrouve d’ailleurs chez les francs-maçons, qui se doivent de tailler leur pierre brute afin de la rendre cubique… Lorsque je le transpose dans l’Arbre, cela permet de mieux se rendre compte de la profondeur de Tiphereth, car le cube est inclus dans une sphère (Yetzirah ici), et Tiphreth est au centre de celui-ci.

Rappelons également que les Compagnons du devoir apprennent, lors de leur apprentissage, à inclure successivement un cube, un dodécaèdre, un icosaèdre et un tétraèdre, dans une sphère...

Comment opérer cet alignement ? Car tous les schémas ci-dessus sont le but à atteindre et non la réalité pour chacun lorsqu’on commence à cheminer sur la Voie.

Grâce aux émotions ! En effet l’émotion est l’indice de résistance au passage de la Lumière (Sgoula). Lorsque nous ressentons une émotion (une mise en mouvement), c’est que nous manquons d’alignement, et cela nous montre ce que nous devons transmuter en soi. C’est le même principe que pour des plaquettes de frein, qui transforment du cinétique en chaleur. Nous, il faut qu’on élimine le mouvement (pour perdre notre forme) et nous n’avons trouvé qu’un moyen, c’est l’émotion. A chaque fois qu’on exprime une émotion, on freine un peu (mais on chauffe aussi !) alors qu’à chaque fois qu’on fabrique une émotion, on accélère (d’où l’idée de ne pas laisser à l’émotion toute latitude, car ensuite on chauffera d’autant plus qu’on devra freiner fortement).
 
Notons que parfois on trouve quelqu’un qui a une âme pas trop pleine et on va vider son souffre à l’intérieur ; une fois cela fait ce ne sera plus à soi de s’en débarrasser mais à l’autre de le faire ! Ceci étant dit, chaque fois que l’on transmute une émotion, on se réaligne.

La purification de la matière s’opère donc en trois temps. Premièrement, il s’agit de la rendre immobile, c’est-à-dire lui faire perdre son agitation (décomposition de la matière, séparation du pur et de l’impur, recomposition du pur). Deuxièmement, la Lumière, partout à l’extérieur, peut entrer dans cette matière. Troisièmement, la Lumière détricote cette matière et la transforme en Lumière.

Il s’agit donc de créer un diamant en soi. Dans la nature, le processus est possible par la réunion de fortes chaleur et pression, à une certaine profondeur… Si l’on revient au schéma précédent, il s’agit de « descendre » dans la profondeur de la sphère pour trouver Tiphereth. Cela ne rappellerait-il pas le VITRIOL des alchimistes : « Visite l’Intérieur de la Terre, en te Rectifiant tu découvriras la pierre cachée ».

Ainsi il s’agit de créer les conditions en soi pour que le diamant se crée (la fameuse Forge qu’est le Quadrilatère). Alors il est possible d’atteindre le Point d’immobilité, qui est l’Esprit, le SOI.


L’âme est agitation, agitation qu’il s’agit de perdre, afin de perdre sa forme. L’esprit est ce point d’immobilité, au centre. Le corps, c’est la forme définie par le mouvement.

Notons qu’on retrouve un symbolisme similaire chez les rosicruciens, pour qui il s’agit de faire éclore la rose, au centre de la croix (crucifixion dans la matière). Annick de Souzenelle dira elle qu’il s’agit d’accepter les limitations du Quadrilatère (les contingences matérielles), tel un tombeau duquel ressusciter (mort du vieil homme, de la personne, afin d’atteindre l’Être impersonnel).

Conclusion

Les voies initiatiques sont des voies longues et difficiles. Elles sont conditionnées par notre résistance au passage de la Lumière. Mais ce n’est pas la Voie qui est difficile, c’est nous qui sommes opaques. Plus nous sommes complexes, plus la trajectoire est longue pour laisser passer la Lumière.

Or, plus je suis opaque, plus je fais résistance au passage de la Lumière, plus je suis lourd. Lorsque que quelque chose ne va pas, on dit que c’est grave, grave comme gravité, comme lourd. Quand on se sent bien, on se sent léger. Il y a un étrange rapport entre notre état d’être et cette qualité de pénétration de la Lumière.
 
Au final, tant que le corps n’est pas transformé en Lumière, il subit toujours une pression.

Puisque j’ai commencé par la cosmogonie, je terminerai par elle. Il est écrit que lorsque l’ange déchu, Lucifer (lux fero « porteur de la Lumière ») se révolta contre Dieu et quitta le Paradis, il a entraîné avec lui un tiers des anges… tiers que l’on retrouve dans le jeu de mot « l’âme à tiers » (la matière). Lucifer est ainsi la Lumière piégée à l’intérieur de la matière. C’est aussi le dragon que terrasse St Michel ou Mikaël (anagramme d’Alkémi, gardien de la voie de rectitude, « Lumière de Dieu »). Avec son épée flamboyante (ayant la forme de l’éclair fulgurant…) qui représente le Feu d’en haut, il perce la matière pour libérer le Feu d’en bas. Soit le dragon accepte de perdre sa forme, alors la réintégration est faite, soit il y a résistance au passage de la Lumière, et il est terrassé.

Arnau de Vilanova

 


Bibliographie non exhaustive...

* De la Matière à la Lumière - P. Burensteinas
* Le symbolisme du corps humain - A. de Souzenelle
* La lumière du chemin - I. S. de Lubicz
* Les étoiles de Compostelle - H. Vincenot

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